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dimanche 1 mars 2020

Vassili GROSSMAN « La Madone Sixtine »


Deux textes de Vassili GROSSMAN dans ce petit livre, par ailleurs visuellement splendide. Le premier, écrit en 1955, s’attarde sur le tableau de RAPHAEL « La Madone Sixtine » peint en 1514, détaillant l’œuvre d’art, et la replaçant dans le contexte historique du XXe siècle, puisque durant la seconde guerre mondiale, l’U.R.S.S., après sa victoire sur l’Allemagne nazie, a ramené un certain nombre de tableaux alors gardés à Dresde. Une dizaine d’années plus tard, en 1955, elle va les rendre à son propriétaire, dont la fameuse Madone. Alors que les œuvres sont en transit, GROSSMAN a l’occasion de les voir. Il exprime ici son ressenti sur cette divine madone qu’il voit comme un tableau intemporel et immortel, voire invincible. Faisant de RAPHAEL un visionnaire, il devine dans cette œuvre la chute du XXe siècle : « La mère nourrit son enfant eu sein, et des centaines de milliers de gens bâtissent des murs, tendent du fil de fer barbelé, installent des baraques… Dans des cabinets tranquilles, on met au point des chambres à gaz, des automobiles tueuses, des fours crématoires… ».

Treblinka, entre autres. GROSSMAN a assisté de ses yeux aux conditions de déportations dans ce camp, il en restera traumatisé à vie. « Et on a peur, on a honte, on a mal : pourquoi la vie a-t-elle été si horrible, n’est-ce pas de ma faute, de notre faute ? Pourquoi sommes-nous en vie ? Question terrible, pénible, les morts sont les seuls à pouvoir la poser aux vivants. Mais les morts se taisent, ils ne posent pas de questions ». Dans les yeux de la Madone et de son fils, il y voit les souffrances des prisonniers de Treblinka, de la barbarie nazie. Il a déjà publié le roman « Pour une juste cause » et travaille sur son chef d’œuvre « Vie et destin ». S’il fait parler ce tableau de RAPHAEL, c’est aussi pour y voir les yeux des déportés, non sans une lueur d’espoir en fin de texte.

« Repos éternel » a quant à lui été écrit entre 1957 et 1960. Le personnage central est étonnamment LE cimetière. Pourquoi y va-t-on ? Pour les morts, pour l’hommage, le souvenir, pour soi-même ? Un cimetière ne comporte pas d’espace illimité, cependant la demande est toujours plus forte que l’offre. Alors, comme pour les vivants, on a construit en hauteur, mais sous le sol. On a établi plusieurs couches de cadavres pour gagner de la place. Un HLM funéraire en quelque sorte. La famille ne se prive pas de louer l’esprit fin du défunt dans des écrits parfois longs gravés sur les tombes.

Ces cimetières sont parfois pillés, violentés. GROSSMAN s’appuie sur des faits, donnent des exemples parlants qui peuvent donner la nausée. Le cimetière n’est pas le lieu de silence et de calme plat qu’il est censé représenter. « Un colonel qui avait servi dans les troupes d’occupation en Allemagne avait rapporté à sa petite fille une poupée qui parlait. La fillette était morte peu après et, comme elle adorait sa poupée, les parents l’avaient placée dans le cercueil de l’enfant. Quelque temps après, la mère avait vu une femme qui revendait cette poupée. Elle s’était évanouie ».

Ces deux textes sont une façon originale de connaître une autre facette de GROSSMAN, certes encore fortement imprégnée de la seconde guerre mondiale pour le premier, mais très loin du GROSSMAN de l’imaginaire collectif pour le deuxième, quoique 1941 vient encore jouer les trouble-fête. Seulement 70 pages, traduites comme toujours magnifiquement par Sophie BENECH, le recueil est d’ailleurs paru dans ses propres éditions, Interférence, en 2012. La couverture, dessin s’inspirant de celui de RAPHAEL, mais en noir et blanc, est elle aussi splendide. Décidément, ces éditions ont beaucoup de mal à me décevoir.


(Warren Bismuth)

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