Bon sang, quel texte ! Dans cet essai profondément féministe, Alice ZENITER nous embarque dans des réflexions de haute voltige par un style pur, un développement précis d’idées où l’humour brille par son impertinence. En seulement une centaine de pages, l’autrice nous laisse sur le carreau par de brillantes prises de position.
Dans l’art et la littérature notamment, la femme est souvent reléguée à l’état de potiche, de personnage secondaire sans envergure. Et ceci gêne profondément Alice ZENITER dont le but est de déconstruire des clichés encore en vigueur et même virulents au XXIe siècle. L’histoire est écrite par les vainqueurs, dit-on. Donc par les hommes, tout puissants dans une société patriarcale et devenue obsolète. ZENITER libère la parole, mais pas négligemment, s’appuyant sur des faits artistiques, historiques notamment, convoquant ARISTOTE et d’autres plus contemporains, pointant du doigt, accusant un état de faits qui dure depuis des siècles.
Les femmes doivent cesser de paraître du côté des faibles et Alice ZENITER en fait un combat qui, dans ce texte précieux, ne se prive pas de dénoncer la domination masculine, qu’elle soit au quotidien ou dans le monde des arts, où sont imposés de vieux clichés éculés où l’homme est celui « qui fait des trucs », comprendre se positionne en héros intouchable surreprésenté.
Armée de petits dessins, l’autrice place ses revendications vers le ludique, le pédagogique, se risque du côté des héroïnes de l’imaginaire littéraire collectif. Anna Karénine l’agace, mais certaines prises de conscience de Umberto ECO l’enchantent. Mais attention : si nous pouvons être touchés par un mouvement nous exhortant à modifier radicalement nos comportements, il faut s’y tenir, ne pas la jouer sur un temps infime, ne pas relâcher la pression. C’est ce qu’avec un immense talent, par des phrases simples, précises et redoutables, Alice ZENITER nous propose de mettre en place, pour briser les stéréotypes, dynamiter le masculinisme à outrance.
L’autrice donne des exemples issus de la littérature classique ou des films « blockbusters » pour nous montrer que la femme reste souvent cet objet convoité, sans cervelle et sans pensées. La liste est longue, hélas !, mais ne doit plus s’éterniser, il est temps de la stopper, même si bien sûr ces histoires ont pu nous faire rêver. L’avènement de l’égalité des textes est en marche, il ne doit pas faiblir.
Pour qu’un texte soit réussi, Alice ZENITER s’appuie sur le test de BECHTEL qui envisage un récit égalitaire en trois points : 1/ il doit y avoir au moins deux femmes nommées dans l’œuvre, 2/ qui parlent ensemble, 3/ qui parlent de quelque chose qui est sans rapport avec un homme. Vérifiez bien dans ces romans qui nous ont fait vibrer, ces trois points sont rarement respectés. Alice ZENITER revient sur ces préjugés qui perdurent. Mais revenons à ce test. Celui de BECHTEL. Par réflexe, nous sommes forcés de croire qu’il émane d’un homme, mystérieux de surcroît, ce BECHTEL. Pourtant, son prénom est Alison. Elle est dessinatrice de bandes dessinées.
Dans ce texte profond et marquant, Alice ZENITER parle de sémiologie, d’histoire et de féminisme, avec son franc-parler et son style littéraire qui séduit et envoûte. Nous ne pouvons seuls développer une idée, il nous faut des références, nous appuyer sur l’Histoire, avoir confiance en ce que des spécialistes ont déjà montré car « Vous n’avez pas (pas tous ?) refait les mesures pour savoir à quelle distance nous sommes du Soleil ou pour prouver que la Terre est ronde. Vous n’avez pas demandé à voir les ossements de François 1er, aucun de vous n’était né en 1515 et pourtant nous pouvons diviser la bataille de Marignan avec certitude. Une existence sans division du travail culturel serait possible, j’imagine, mais elle serait harassante et inutile parce qu’une vie humaine ne peut pas retraverser des millénaires d’apprentissages et de découvertes. Il faut donc accepter que nous vivons dans une sphère de connaissances fondée sur des affirmations de dicto, nous sommes – à tout moment – juchés sur un empilement de textes ». Faire confiance aux autres, celles et ceux qui ont travaillé d’arrache-pied pour démontrer un fait, tel est le message.
Et puis ces vérités implacables qui nous feraient presque culpabiliser : « Si l’on prend l’exemple des rapports du GIEC, on voit qu’au stade de l’idée vraie, on a une accumulation de données sur le réchauffement climatique depuis des décennies, des données qui ne sont pourtant pas suffisantes pour que les modes de vie, de production et de consommation soient changés de façon significative. Mais si l’on transforme les rapports du GIEC en idée affectante, si l’on y ajoute des images d’ours blancs faméliques qui ne parviennent plus à pêcher sur leur banquise fondue, si l’on vous raconte ce que la montée des eaux créera comme exode ou ce que la hausse des températures fera au sol et aux plantes de votre propre jardin, on a plus de chances que vous vous préoccupiez de ce réchauffement, que vous changiez certaines habitudes de votre vie et que vous poussiez les autres (vos proches ou le gouvernement) à faire de même ». J’y vois comme une supplication à l’humilité…
Alice ZENITER déjoue jusqu’au bout de son texte les idées toutes faites. Ce titre « Je suis une femme sans histoire » est une imposture, une fiction car, bien sûr, l’écrivaine en question possède un passé, une histoire chargée et ces mots imprimés sur la couverture nous ont menés en bateau. L’exercice est brillant.
Si ce texte est sorti (en 2021) aux éditions L’arche, spécialisées dans le théâtre contemporain, c’est qu’il fut joué sur scène. À partir de 2020. Une actrice, seule. Son nom ? Alice ZENITER. Chapeau bas madame !
https://www.arche-editeur.com/
(Warren Bismuth)
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