Admiratif du récit « Une guerre dans la tête » (réédité récemment en poche sous le titre « Marcher vers l’horizon » qui sied mieux à son contenu) de Doug PEACOCK, il s’avérait nécessaire de découvrir au plus vite l’autre de ses écrits traduits en français : « Mes années grizzly ». L’effort ne fut pas vain.
Paru aux Etats-Unis en 1987 puis en France une première fois en 1997, ce livre fut réédité dans la collection Totem (poche) de chez Gallmeister en 2012. Si l’on peut remarquer de nombreuses redites par rapport à « Marcher vers l’horizon », le message est cependant plus ciblé du côté des longues observations de PEACOCK sur les populations des ours grizzly.
Pendant de nombreuses années, environ six mois par an, PEACOCK a bravé tous les dangers pour être au plus près de la vie des grizzlys aux Etats-Unis. Au fil des ans, il est devenu un spécialiste en la matière, observant avec minutie et passion, photographiant, filmant même la vie de ces ours fascinants.
Recevoir des leçons de vie est une autre résultante de cette expérience hors normes : « Les ours sentent l’arrivée des tempêtes hivernales plusieurs jours à l’avance ». Les observer afin d’anticiper. PEACOCK décrit leur hibernation, les querelles d’individus voire de familles. Il s’insurge avec véhémence (n’oublions pas qu’il est avant tout anarchiste) contre les massacres dont les ours sont les victimes. Ils ont failli disparaître de la surface du globe, pourtant l’Homme continue à s’acharner sur eux, sans vergogne.
PEACOCK, c’est de la graine de révolté, alors il explique qu’il sabote, qu’il entre en scène, jouant avec sa vie, celle qui ne valait plus grand-chose à son retour de la guerre du Vietnam. « Il ne restait plus de grizzlys dans ces montagnes, et c’était bien dommage. Ils avaient été abattus des dizaines d’années plus tôt, ou empoisonnés. Même un endroit aussi vaste et sauvage que celui-ci s’était avéré trop petit pour eux. Les grizzlys ont besoin d’immenses habitats : dans une région comme celle-ci, un mâle occupe de 500 à 750 km2, et une femelle moitié moins. Au printemps, les grands ours descendaient des montagnes vers les ranchs, et ils étaient immanquablement abattus ».
Ces massacres eurent lieu en partie dans les années 1960/1970, même s’ils avaient commencé dès le XIXe siècle, avant que certaines lois protègent en partie les ours et les grizzlys. Mais la cupidité de l’Homme est sans limites et même indirectement il menace la survie même des ours : « Le premier prédateur du Sud-Ouest n’était ni le loup ni le grizzly, mais le bétail, qui dévorait toutes les herbes succulentes qui constituaient l’essentiel du régime alimentaire des ours ».
PEACOCK connaît son dossier sur le bout des doigts et sait le faire partager à son lectorat. Dans chaque phrase, chaque expression, la passion est palpable. PEACOCK est un acharné de la défense de la nature sauvage, un militant se dressant tant et plus contre l’injustice, celle des hommes bien entendu. « Les droits des animaux sont bafoués – et nous nous comportons envers eux comme nous l’avons fait envers les indiens ». Car PEACOCK est admirateur du mode de vie des Autochtones, de leur rapport à la nature, de leur respect, leur dévotion même. Il s’empare du sujet afin de compléter ses pensées. Il reste un contestataire de premier ordre et ne s’en cache pas : « J’étais tiraillé entre la nécessité de protéger la nature et ma tendance innée à refuser toute discipline excessive et à favoriser l’illégalité ». Toujours cette réflexion libertaire, pure et entière.
Un chapitre le ramène du côté de la mer de Cortés, où il prend la plume pour y décrire la faune sous-marine, et là non plus il n’est pas maladroit. PEACOCK est l’un de ces hommes rares et précieux qui vous mettent le nez dans votre caca, qui vous secouent la tête en vous expliquant que tout n’est pas perdu à condition de se révolter, encore faut-il braver le danger. Ouvrage passionnant de bout en bout, écrit avec une main sûre et pourtant questionnant sans arrêt, du travail de maître rédigé en grande partie dans les années 80. Auteur à lire d’urgence.
(Warren Bismuth)
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