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vendredi 14 octobre 2022

Patrick PÉCHEROT « Pour tout bagage »

 


Pour son nouveau roman, Patrick PÉCHEROT utilise le rétroviseur comme outil d’écriture. Un grand bond dans les années 70 en France. Le prétexte de cette plongée dans le temps est le kidnapping moyennant rançon du banquier Angel SUAREZ à Paris en 1974. C’est alors le G.A.R.I. (Groupe d’Action Révolutionnaire Internationaliste) qui est à la manœuvre. Derrière cet enlèvement, ce sont de nombreuses revendications qui voient le jour, nous sommes au moment charnière alors que l’on espère se dessiner un Nouveau Monde : l’antimilitarisme, l’amour libre, les communautés, le collectivisme, et ce vent libertaire qui souffle parfois en rafale.

Arthur Sorot, sorte de double de l’auteur, est le narrateur de cette histoire dans l’Histoire, témoin de la jeunesse turbulente et dissidente des trente glorieuses, mais bien plus spécifiquement image même de cette utopie propre à la décennie 70. Arthur a, comme tant d’autres, cru à un avenir plus égalitaire entre les peuples, plus fraternel. Comme tant d’autres, il a vieilli, et il se présente à nouveau plus de 40 ans plus tard, rêves éteints et valoches sous les yeux. Il ressort de vieilles photos jaunies, les scrute et les commente.

Patrick PÉCHEROT réussit la prouesse d’un grand balayage quasi exhaustif (ça ne peut jamais l’être, bien entendu) de l’activité (contre) culturelle en France dans les 70, l’influence venant des Etats-Unis, mais l’identité plus ou moins revendiquée et estampillée France est bien réelle. En fond, les images d’actualités, politiques surtout, défilent à la vitesse grand V, comme projetées au fond d’une salle obscure, par un Super 8 ronronnant sur un drap blanc dépareillé.

Inventaire à la Prévert du militantisme des 70’s, ce roman semble revendiquer à chaque page un « C’était mieux avant » encombrant et fataliste. Mais alors il faut le lire jusqu’au bout pour comprendre.

Les années 70, c’est l’agonie de FRANCO, le dictateur espagnol, c’est la vie avant Internet, c’est-à-dire en direct, non virtuelle. C’est aussi l’époque des grandes utopies politiques passant par le Larzac, la Résistance à l’oppression, la Révolution à tout crin. Et les taupes, les infiltrés au sein des organisations. En est-il ainsi pour le G.A.R.I. ? Cette période pattes d’eph’ patchouli liberté est dépeinte avec nostalgie et sens du détail : « Je parle encore d’années moyenâgeuses. Ailleurs, on les a dites de plomb. Des années à guerre froide. À gauche ultra et droite extrême. À kébours dans l’ombre. À marionnettes, corps tordus et embrouillaminis. Des années groupuscules infiltrés, des fois que Mai 68 revienne, plus garnement du tout, vrai méchant. Ou que, lassés de l’attendre, certains se sentent avant-garde armée du prolétariat ».

Ce roman foisonnant est avant tout, ou en conclusion, le bilan d’une vie de militantisme, d’une part sur l’héritage parfois tendancieux (gilets jaunes notamment), d’autres part sur l’utilité ou non qu’il y eut à cramer autant d’énergie pour que le monde soit moins moche, quand on voit le résultat près de cinq décennies plus tard, même si l’on peut s’interroger sur les réflexions du narrateur à propos des ZAD. Mais c’est aussi l’occasion pour lui de se questionner sur la suite. « On pigeait tout. Nucléaire non merci ! Let the sunshine in et vive le vent, vive le vent, vive le vent dit vert. Aujourd’hui, quatre éoliennes dans le décor déclenchent une émeute. Sus aux méchantes bêtes, inutiles et nuisibles ! Je ne pige plus trop. Une fois pour toutes, j’ai décidé de m’en foutre. Tant de gens brassent plus d’air qu’un parc éolien sans provoquer un watt de jus… ». Un Arthur résigné, groggy devant le constat.

Roman qui sent la lacrymo autant que la lavande et la saveur de madeleine. Roman d’un monde révolu, terminé, fini, exterminé, exécuté, il en est le souvenir, le reflet, avec les erreurs du passé – reproduites pourtant -, la rage diluée depuis, voire passée en partie de l’autre côté des barricades héritières de 1968. Exercice de style stupéfiant où s’entremêlent moult images des seventies, parasitées soudain par le retour au présent, décennie deux du siècle vingt et un, et son goût de gâchis, tout ceci porté par une écriture argotique, populaire, à l’ancienne, une écriture elle aussi en partie disparue, qui a pourtant embelli les années 70, avec le talent de AUDIARD, entre autres. Mais la figure tutélaire du roman pourrait bien être celle de Léo FERRÉ, même s’il va lui en cuire en fin de volume. Ces 70’s pourtant pionnières des luttes en cours, qui ont posé les jalons de la révolte du siècle suivant.

« Reprendre le chemin de l’école, c’est la grande illusion, jamais ne reviennent le goût des Malabar, l’odeur de la cour et celle des marronniers. On renifle des parfums de synthèse en faisant semblant de rien mais ils sont bien pourris ». Ce roman vient de sortir, il est à déguster sur un vieux pouf orange.

 (Warren Bismuth)

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