En cette année 2022, je me suis lancé pas mal de défis littéraires, et notamment celui de lire dans l’ordre la série romanesque du shérif Walt Longmire du facétieux Craig JOHNSON lancée par Gallmeister en 2009 pour la version française et qui fêtera son quinzième volume dans les jours à venir avec « Le cœur de l’hiver ».
Ne nous mentons pas, il y a une addiction à suivre les enquêtes de ce shérif original et décalé (mais peut-être pas autant que le reste de son équipe et de ses proches). Et si je m’arrête sur « Tous les démons sont ici » pour vous présenter cette série, c’est que d’une part cet épisode intervient après une existence de cinq ans de la série chez Gallmeister, mais aussi parce que son scénario m’a été vanté par une sorte de spécialiste de la série.
Walt Longmire est le shérif du comté le moins peuplé de l’Etat du Wyoming. Seulement tout n’y est pas tout rose et, au cœur de ces montagnes pouvant culminer à 4000 mètres, les coups bas sont nombreux. Dans ce tome, Longmire, veuf inconsolable et carcasse de près de 2 mètres s’élevant au-dessus du sol, va devoir affronter une bande de prisonniers psychopathes qui ne vont pas tarder à s’évader, tandis qu’un exemplaire de « L’enfer » de DANTE ne va pas le quitter tout au long de cette éprouvante enquête.
D’ailleurs, est-ce vraiment une enquête ? Dans cet épisode, nous savons dès le début à peu près tout ce qui s’est déroulé de sanglant et qui a fait que les trois hommes traqués ont été fait prisonniers. L’histoire est en quelque sorte ailleurs, comme souvent chez Craig JOHNSON. Dans cette triplette, une silhouette se dégage, celle de Raynaud Shade, un fondu borgne (il s’est arraché son œil lui-même) se riant de la souffrance, de la douleur et de la mort. « J’avais côtoyé des fous dans ma vie, mais aucun n’était doué de la malveillance pure dont cet homme paraissait pétri ».
Dès le début de cette aventure, nous connaissons les pedigree des hommes recherchés, dès le début nous en savons suffisamment sur ce qui les a menés en prison. Aussi, « Tous les démons sont ici » est plus une chasse à l’homme psychologique exténuante qu’une vraie enquête. Et une fois de plus, Longmire y est magistral. Dans cet épisode, contrairement à son habitude, il va surtout évoluer seul (ce qui lui permet de dialoguer avec lui-même), loin de son vieil ami et complice Cheyenne Henry Standing Bear, loin de son assistante Vic avec laquelle il entretient des rapports ambigus, loin de sa fille Cady qui va d’ailleurs bientôt se marier.
Alors que Shade s’enfuit dans les montagnes perdues du Wyoming, une tempête de glace s’annonce, de celles qui marquent les esprits et peuvent changer le destin d’un homme. Le shérif s’élance à sa poursuite. Le voyage va être rude, périlleux, et même si parfois il peut presque paraître trop rocambolesque pour en être vraisemblable, il n’en reste pas moins que l’efficacité du récit est redoutable. JOHNSON use à la perfection de l’humour, parfois en forme d’allégories, il neutralise les situations les plus tendues en envoyant ici et là une situation burlesque, incongrue ou stupide. Si le fond de son roman est d’une grande noirceur, la forme est farcie de bons mots qui font passer la pilule, ou encore de scènes farfelues, comme celle du shérif chevauchant une motoneige en guise de cheval.
Cependant, « Tous les démons sont ici » est peut-être le roman de la série avec le moins de cet humour propre à son auteur. Il reste un épisode froid dans tous les sens du terme. Les hommes y sont réduits à l’état de bêtes. Ici plus que dans les volumes précédents un parfum de fantastique flotte et il faudra bien l’épilogue pour comprendre tout ce que le shérif aura vécu durant son aventure.
Le récit est également porté par la présence de Virgil, le genre de personnages qui enchantent un roman par leur présence, leur vécu, leur charisme et leurs réflexions philosophiques sur la liberté ou le sens de la vie. Ce Virgil enveloppe l’histoire d’un voile rassurant et quasi onirique au cœur des grands espaces du Wyoming, pour un climat parfaitement peint entre polar, roman noir et western moderne où la nature, la flore et la faune figurent en une part non négligeable dans le décor.
Les us et coutumes de ceux que l’on nomme par erreur les indiens sont toujours évoqués avec tendresse et passion (dans toute la série il en est ainsi). Longmire (et JOHNSON bien sûr) aime ce peuple et le respecte. « Qu’est-ce que vous avez, vous les Blancs, avec la morale ? Peut-être que c’est juste l’histoire de ce qui s’est passé (il marque une pause). Si un Indien montre un arbre, vous les Blancs, vous vous demandez toujours : Qu’est-ce que ça veut dire ? Que représente l’arbre ? Quelle signification ce geste a-t-il ? Peut-être que c’est juste un arbre ».
Un incendie va se déclencher, préfigurant une ambiance quasi apocalyptique. « La tour de flammes émergea du sommet de la forêt avec un bruit analogue à celui d’un train de marchandises, et le vide exerça une traction violente sur ma poitrine, essayant de me faire choir de la poutre sur laquelle j’étais debout, tandis que des cendres incandescentes tombaient des arbres morts. Je me tenais à un endroit où les matériaux inflammables, l’oxygène et la température au-dessus du point d’auto-ignition se combineraient pour créer une combustion spontanée et une explosion ».
Une enquête de Longmire est toujours riche dans l’apprentissage. On peut même avoir tendance à oublier la fin de l’enquête, retenus par des scènes d’anthologie, par des paysages grandioses, des personnages attendrissants ou carrément repoussants, et en fond cet humanisme débordant, cet humour ravageur qui fait que les enquêtes de Longmire sont uniques et entraînent une certaine dépendance.
Le titre original de ce volume est « Hell is empty », emprunté à un vers de DANTE dans « L’enfer » qui accompagne à la fois le shérif et tout cet épisode. Pourquoi le traduire par « Tous les démons sont ici » ? L’explication est dans le texte original de l’italien : « L’enfer est vide et tous les démons sont ici ». Tome paru en 2015, il est, à l’instar des épisodes précédents, d’une grande qualité tant littéraire que dans le scénario. Il est toutefois fortement conseillé de lire la série dans l'ordre car l'évolution de la vie du shérif et de ses comparses est prépondérante et prend même une part non négligeable dans l'intrigue.
(Warren
Bismuth)
Toujours pas entamé Little Birf, je traîne
RépondreSupprimerAprès celui-ci il ne t'en restera qu'une petite vingtaine à découvrir si toutefois tu es atteint de Johnsonite aiguë !
Supprimer