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mercredi 18 janvier 2023

Sorj CHALANDON « Enfant de salaud »

 


Cette année 1987 fut pour Sorj CHALANDON d’une teneur fort particulière. D’un côté se prépare le procès historique de Klaus BARBIE que CHALANDON couvrira pour le journal « Libération ». De l’autre, et en même temps, il doit faire face au passé tumultueux de son propre père, Jean, durant cette même période.

« Enfant de salaud » dépeint une nouvelle image du Traître, ce profil qui hante les récits de l’auteur depuis toujours. Certes, il a déjà beaucoup écrit sur son père, mais ici il traverse en apnée, par une enquête rigoureuse, le passé de ce père, de manière plus précise, plus détaillée et encore plus étouffante. « Enfant de salaud » sonne comme l’aboutissement de la recherche de la véritable identité du père.

C’est le grand-père de Sorj qui alerta ce dernier sur la deuxième guerre mondiale de son fils, le père de l’auteur. Et CHALANDON y collecte des faits, des témoignages ô combien à charge. Ce père qui a porté cinq uniformes différents durant cette guerre, tantôt aux côtés des nazis, tantôt dans la Résistance. Et puis cette vie rocambolesque qu’il a en partie inventée, pour faire de lui un héros, lui ce mythomane par profession, ce pauvre type qui cherche à redorer son blason.

S’il fut dans la Résistance, c’est pour brouiller les cartes, une fois de plus, ne pensant qu’à son destin, qu’à sa prospérité, à son image. Ce n’est qu’en 1983 que, malade, il annonce une partie de la vérité à son fils. Mais c’est en 1987 que le journaliste entreprend sa quête de vérité. Parallèlement se tient le procès événement de Klaus BARBIE. Dans ce livre, CHALANDON en donne méticuleusement des détails, un monstre est à la barre. Pas pour longtemps. Rapidement il va refuser de faire acte de présence.

Deux destinées, pas si éloignées et pourtant si disparates : le bourreau nazi BARBIE et le quidam Jean, tous deux engagés dans une guerre folle. L’un obéissant aux ordres, et bien sûr les formulant à son tour, l’autre, rejetant ces mêmes ordres pour sa seule réputation, inventant tant et plus de situations, de lieux ou des faits qu’il n’a pourtant pas connus. Il lui aurait fallu une sacrée dose d’ubiquité pour vivre tout ce que pourtant il revendique, lui ce fainéant qui n’a jamais été fichu de garder un seul boulot car inapte à accomplir les moindres tâches.

CHALANDON apprend soudain que son père fut emprisonné puis condamné durant cette guerre. Ce père violent qui a intimidé sa propre famille durant toute une vie, se comportant de manière arbitraire et autoritaire, faisant régner la terreur quotidiennement, ce père que CHALANDON, fort de ses découvertes ahurissantes, doit faire plier, d’autant que l’aïeul ne semble pas franchement regretter ses actes et son soutien à l’occupant.

Dans « Enfant de salaud », dans son style tout journalistique, CHALANDON raconte l’Histoire, évoque avec émotion le procès BARBIE, avec ces nombreux témoins (attention certains témoignages sont durs, très durs !) qui racontent l’innommable, l’inhumain, alors que jacques VERGÈS, l’avocat de BARBIE, se débat avec lui-même, scandant des monstruosités servant à diminuer l’implication de son client dans les abominations. Nausée.

CHALANDON se souvient et tire des conclusions : « Lorsque j’étais enfant, ton père m’avait offert ton « mauvais côté », un petit caillou noir que j’avais caché au fond de ma poche. Mais aujourd’hui, c’est un sac de pierres que je transportais. Je charriais ta vie de gravats et je voulais de l’aide. Tu ne pouvais pas me laisser seul avec ton histoire. Elle était trop lourde à porter pour un fils ». Ce père détesté, honnis, son fils ne lui trouve aucune circonstance atténuante, comme dans le verdict du jugement de BARBIE, ce procès que ce père, justement, a tenu à suivre en spectateur, présence qui a tant déstabilisé le journaliste.

« Enfant de salaud » est sans nul doute l’un des grands CHALANDON, il n’est pas qu’une pierre de plus à l’édifice, il conclut magnifiquement avec une noirceur totale le dossier du père, tant évoqué dans son œuvre, il ne laisse plus place au doute, il est un témoignage à charge violent et lucide. Si ce livre est présenté comme un roman, c’est sans doute car le dernier chapitre est imaginé par CHALANDON, un dernier chapitre qui se « débarrasse » de la figure imposante et trop omniprésente du père, comme si l’auteur devait à tout prix s’éloigner de cette ombre, hanté par le passé, non pas le sien, mais celui de son géniteur, ce lâche qui n’a jamais pu raconter la guerre sans se mettre en scène de manière héroïque, ce menteur qui a joué au taiseux dans les moments d’embarras, ou mieux, annoncé (combien de fois ?) qu’il allait mourir de tous les tourments dont il était la victime de ses proches. Paru en 2021, ce texte est d’une grande force, condamne avec pudeur tout en faisant revivre des scènes horribles de la deuxième guerre mondiale, quand le drame familial rejoint la morbidité de l’Histoire mondiale.

Rarement depuis la « Lettre au père » de KAFKA, un récit contre la figure paternelle fut aussi brutal, aussi direct malgré le lien familial, rarement un auteur n’a su se débarrasser du géniteur avec une force aussi mordante quoique désespérée.

 (Warren Bismuth)

2 commentaires:

  1. Lu la semaine dernière, c'est un bon cru...celui de la rentrée littéraire 2023 est-il aussi bon?

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    1. Des Livres Rances7 décembre 2023 à 13:51

      Pas encore lu mais ça viendra !

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