Une BD comme on n’en voit pas tous les
jours. En effet, elle vient tout droit de Russie, pays où le neuvième art n’a
pas encore creusé son sillon. D’accord, elle est de 2004, mais elle reste un
document car elle est une autobiographie en dessins et commence en Sibérie en
1971 pour s’achever en l’an 2000 dans un Moscou occidentalisé. Entre ces deux
périodes, Nikolaï MASLOV va vivre une existence chaotique, faire de nombreux
métiers, côtoyé la vodka. Ce sont surtout ses congénères qui en seront
victimes : la vodka s’achète partout, pas cher, plus facilement que la
nourriture, alors forcément… MASLOV va même être boulanger tout en gardant une
certaine fascination pour la France (l’appel de la baguette ?). Doué en
dessin il va rejoindre les beaux-arts à Moscou. La mort de son frère va le
faire dériver salement, vodka encore et toujours. Puis hôpital psychiatrique,
image d’une Russie qui devient folle par l’omniprésence d’un système politique
corrompu. Côté visuel, tout est dessiné au crayon de papier, la bonne vieille
mine qui donne un rendu assez crasseux, bien dans l’ambiance de ce que veut
nous décrire le narrateur. L’influence de l’école des beaux-arts est évidente
avec ces dessins en perspectives, parfois naïfs, mais les tronches des
protagonistes semblent sorties d’un casting pour un film noir des années 1950,
burinées et expressives. La conception de cette BD est à elle seule un
roman : En 2000 Nikolaï MASLOV rend visite à un libraire français à
Moscou, Emmanuel DURAND, lui montre ses dessins et lui dit qu’il a besoin d’un
mécène pour trouver du temps à l’accomplissement de son projet. DURAND crache
au bassinet et lui refile pas mal de pognon. La famille de MASLOV pourra
bouffer pendant qu’il dessinera sans cesse. Cette « Jeunesse
soviétique » est le premier album de MASLOV, une suite sortira en 2005,
« Les fils d’octobre ». Ne vous arrêtez pas à la couverture, ratée
selon moi (tout comme celle de la suite), l’intérieur de cette BD est mieux
chiadé, moins caricatural, des grands espaces aux folies urbaines. Certes vous
n’obtiendrez pas une Histoire de la Russie soviétique et post-soviétique, mais
par des détails injectés dans des dessins et des dialogues, l’atmosphère
suffira pour que l’imagination fasse le reste. Par ces tranches de vie, ces
rencontres, ces tragédies, MASLOV n’a pas besoin de se transformer en
documentaliste. Ce survol d’une centaine de pages, sans être un chef d’œuvre,
reste poignant et bien ficelé, avec comme une envie subite d’investir dans la
chapka. Pour la vodka, les personnages de la BD l’ont déjà fait, et m’est avis
que les bouteilles sont vides. Cette BD a le grand mérite d’exister dans un
pays où la place pour cette culture n’est pas encore cloisonnée. En tout cas,
elle ne l’était pas en 2004, j’ignore ce qu’il en est aujourd’hui. En bonus,
vous aurez droit à une longue préface très éclairante d’Emmanuel CARRÈRE que
l’on peut considérer comme un spécialiste de la Russie. Si ce sont des spécialistes
de vodka que vous cherchez, ne comptez pas sur moi pour balancer des noms, et
pourtant j’en connais !
(Warren
Bismuth)
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