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mercredi 18 décembre 2024

Albert LONDRES « En Russie bolchévique »

 


C’est en février 1920 que le journal L’Excelsior envoie son journaliste déjà vedette Albert Londres en Russie afin de rendre compte de la situation politique sur place. En effet, la révolution d’octobre 1917 n’a eu que peu d’échos en occident, peu d’informations sont parvenues à filtrer de la Russie rouge. Albert Londres est d’ailleurs le premier journaliste français à pénétrer dans le pays depuis la révolution.

Pénétrer dans un pays aussi opaque que la Russie s’avère difficile pour ne pas dire périlleux. Il faut 52 jours – pas moins – à Albert Londres pour rejoindre la Russie à partir de Paris. Dans ce livre de chroniques il dévoile à son public toutes les péripéties de cet éprouvant voyage.

En avril 1920 Albert Londres arrive enfin à Saint Pétersbourg rebaptisée Pétrograd depuis six ans (elle n’est plus capitale Russe depuis deux ans, mais Londres ne le mentionne pas). Un typhus dévastateur vient de toucher la ville quelques mois plus tôt. Immédiatement Londres se fait offensif, presque sitôt le pied posé dans le pays : « C’est justement contre la démocratie, contre le suffrage universel que le bolchevisme a fait sa révolution. Ce n’est pas par hasard, ce n’est pas par circonstances, qu’il a jeté bas ces vieilles conquêtes, c’est par principe. Ce n’est pas une république que Lénine est venu installer en Russie, c’est une dictature ».

Londres rencontre des hauts dignitaires russes, des personnes influentes afin de parfaire son avis sur ce nouveau monde qui rappelle pourtant tellement un monde ancien, révolu. Le tableau est grave, mais le ton humoristique. Car c’est bien par l’humour (parfois un peu potache) que Londres cherche à faire passer son message, un ton pas férocement politique mais, disons-le, anti-soviétique, dans lequel il n’oublie pas de se moquer ouvertement de Lénine et Trotski. Albert Londres est une sorte de Tintin avant l’heure : aventurier, reporter visitant des contrées méconnues de nous occidentaux, il en donne des portraits d’après ce qu’il a vu lui, sur le terrain, portraits pouvant paraître comme caricaturaux même s’il est évident qu’il sont sincères et authentiques. Il tire des conséquences un peu rédhibitoires d’après croquis très succinct.

Albert Londres définit ainsi la Russie dans le titre de l’un de ses articles : « Ce n’est pas la dictature du prolétariat, c’est la dictature au nom du prolétariat sur le prolétariat, comme sur le reste… par des non-prolétaires… », ce n’est pas si mal vu, un peu réducteur, mais pas si mal vu…

Londres fait preuve de cynisme, mais le fond est sérieux. Ainsi cette interview de Tchitcherine le ministre des affaires étrangères, ou encore cette rencontre avec le commissaire aux finances, sans oublier ce face à face savoureux avec l’écrivain Maxime Gorki, un Gorki qui se confesse : « Je dirige deux maisons d’édition ; leur but (programme bolchevique) est de permettre au peuple qui ne parle que le russe de connaître les chefs-d’œuvre étrangers. Nous traduisons des Français, des Allemands, des Anglais, des Chinois. Nous avons rétabli Tolstoï, dont certains livres, sous l’ancien régime, n’étaient permis qu’avec des coupures. À cette tâche, je consacre mon temps ».

Pour Londres, il n’y a rien à sauver du régime bolchevique, même s’il sait par de brèves interviews laisser la parole à ceux qui le vivent de l’intérieur. Il évoque la violence sécuritaire et les exécutions sommaires de la Tchéka (qu’il appelle V. tché K.).

En bonus de ce livre deux articles inédits d’août 1920 ainsi que « Comment on entre en Russie rouge » où il revient fin 1921 sur les circonstances rocambolesques de son arrivée en Russie l’année précédente. Le livre est accompagné de quelques photos (portraits surtout) d’époque. Mais le plus intéressant est peut-être ce qui suit : ce recueil est sorti en 2023 dans une toute nouvelle maison d’édition, entièrement consacrée aux écrits d’Albert Londres, maison d’édition directement née de la Maison Albert Londres, superbe musée dans le vieux-Vichy, fondé dans la maison de naissance du journaliste. La maison d’édition du nom peu ambigu de Editions Maison Albert Londres sert à réunir des fonds pour le fonctionnement du musée et des manifestations organisées tout au long de l’année. Un combat juste et nécessaire pour ne pas oublier le remarquable travail accompli par le reporter disparu tragiquement autant que mystérieusement en 1932 (voir à ce propos la superbe BD de 2022 signée Frédéric Kinder et Borris, « Albert Londres doit disparaître »).

 https://www.albert-londres-vichy.fr/la-boutique-de-la-maison-albert-londres/

 (Warren Bismuth)

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