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vendredi 13 décembre 2024

B. TRAVEN « Dans l’État le plus libre du monde »

 


[Un peu d’autobiographie] Ce livre-là me tient particulièrement à cœur. Je l’ai découvert il y a tout juste 30 ans alors qu’il venait de sortir aux éditions L’insomniaque (paru fin 1994) que je suivais de près à l’époque. Il est aussi l’une de mes premières vraies rencontres avec la littérature (sans même le savoir puisque j’ignorais alors que l’auteur était également romancier !). Car même si je lisais beaucoup, mon regard et mon esprit se plongeaient surtout dans des journaux militants, des brochures et des bouquins documentaires historiques ou biographiques. Ce livre donc, je l’ai toujours, et fort ému de l’annonce des éditions Libertalia qui viennent d’obtenir en tout début d’année « L’exclusivité des droits sur l’œuvre de B-Traven », j’ai ressorti mes vieux bouquins poussiéreux et ainsi, 30 ans plus tard, relu ce véritable brûlot.

Derrière la légende B. Traven (1882 ( ?) – 1969, de nationalité allemande) le plus anonyme, le plus mystérieux des romanciers du XXe siècle, il y a les faits. Sous le pseudonyme de Ret Marut – il a toujours usé de pseudonymes, on ne connaît d’ailleurs toujours pas avec certitude sa vraie identité même si le nom de Otto Feige semble le plus probant - il lance en 1917 un journal anarchiste sulfureux (un bulletin, une revue seraient des noms plus appropriés, l’auteur ayant toujours détesté les journalistes) à Munich : Der Ziegelbrenner (traduire par « Le briquetier » ou mieux encore « Le fondeur de brique ») qui existera jusqu’en 1921. C’est ici un recueil varié et radical qui nous est proposé.

De réactions volcaniques de B. Traven à des extraits d’articles d’époque, ce recueil choisit ensuite quelques textes antimilitaristes et antinationalistes, pacifistes en pleine première guerre mondiale, des textes dissidents, révoltés, écorchés vifs. Dans le texte éponyme (le plus long de cette mini anthologie), l’auteur sort le vitriol pour ne pas dire la sulfateuse pour s’attaquer aux sociaux-démocrates de Bavière, épinglant avec violence la brève tentative de République des Conseils. Dans cet article de décembre 1919, B. Traven fait feu de tout bois, exprime son individualisme, sans oublier de fustiger le bolchevisme alors au pouvoir en Russie. Il revient sur l’arrestation mouvementée d’un militant nommé « M », qu’il décrit méticuleusement, et pour cause…

« C’est ainsi que le parti social-démocrate est devenu aujourd’hui le parti conservateur du pays, se voyant avec effroi, avec stupeur, toujours plus repoussé des rangs de la gauche vers ceux de la droite. Et il nous appartient de garder les yeux grands ouverts, car le parti communiste a déjà trouvé sur sa gauche, à son tour, l’énorme force qui lui succédera ; et il se pourrait bien qu’une fois au pouvoir, le parti communiste se mette à traquer les partisans du parti qui vient après lui, tout comme les communistes sont aujourd’hui traqués par les sociaux-démocrates ». Visionnaire.

Dans un texte de février 1920, il dénonce l’exécution de plusieurs militants anarchistes ayant assassiné des membres d’un groupuscule « proto-nazi » (des membres de ce groupe  apparaissent ensuite dans la création du parti National-Socialiste), signant son pamphlet : « Marut, actuellement en fuite, poursuivi pour haute trahison ». Marut/Traven ne goûte pas la presse, il le démontre dans un texte à charge sous forme de tract, publié en janvier 1919. Trois mois plus tard, la république des Conseils de Bavière écrira ceci : « Les mensonges de la presse vont cesser : la collectivisation des journaux assure la vraie liberté d’opinion du peuple révolutionnaire ». À voir…

En fin de volume est inséré une lettre qui n’a rien à voir avec l’existence de Der Ziegelbrenne, puisque écrite en mai 1938, en réponse aux camarades antifascistes espagnols sur le Front, qui viennent de l’inviter à se rendre sur place (il habite alors au Mexique, pays qu’il ne quittera pour ainsi dire plus jamais, quoique là encore les informations sont pour le moins partielles). Dans cette lettre, une fois de plus et comme tout au long sa vie, B. Traven (il a choisi ce nom quelques années plus tôt, des historiens se pencheront sur cette décision, cherchant absolument à dénicher un prénom derrière ce « B », en vain) brouille les pistes sur ses origines et son parcours individuel.

En bonus, loin des écrits de B. Traven, l’éditeur insère une fort intéressant chronologie de la République des Conseils de Bavière, d’avant sa création jusqu’à sa dissolution. Le livre est agrémenté d’illustrations, de gravures, de photographies. Il fut réimprimé à plusieurs reprises. Mais, comme je l’ai confié au début de cette laborieuse chronique, cette version de 1994 est un petit trésor personnel de ma bibliothèque personnelle. B. Traven fut un homme unique dans son destin, ses choix de vie, comme dans son approche de l’art. Sur ce point, il reste l’un des plus radicaux, des plus originaux et des plus en quête de la Liberté absolue. Toute sa vie ses profondes convictions anarchistes l’accompagneront.

http://www.insomniaqueediteur.com/

 (Warren Bismuth)

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