Gaston Couté (1880-1911) est un poète et chansonnier un peu oublié aujourd’hui. Sa vie fut brève, il la brûla par les deux bouts. S’il fut un chanteur reconnu en son temps, il finit dans la misère et la maladie à moins de 31 ans, en 1911, avant de sombrer dans l’oubli. Il fut apprécié des « grands » et même chanté par Edith Piaf, Bernard Lavilliers et tant d’autres. Ce livre propose une relecture de plus de 100 de ses poèmes et chansons, pour un dépaysement total.
La puissance de Gaston Couté réside dans son style, entre patois Beauceron (il était lui-même né à Beaugency et a longtemps vécu à Meung-Sur-Loire) et argot, avec des vers coupés à la serpe par de nombreuses apostrophes qui nous font entendre à la simple lecture le parler rural. Couté, c’est un monde à part, unique. Car en plus de la forme il y a le fond. Couté fut un révolté, anarchiste, antimilitariste, anticlérical, il se dressa par ses poèmes contre l’ordre établi d’une manière très offensive. « On rent’ dans la classe oùsqu’y a pu de d’bon Guieu : / On l’a remplacé par la République ! / De d’ssus soun estrad’ le mét’ leu-zexplique / C’qu’on y a expliqué quand il ‘tait coumme eux. I’ leu’ contre en bieau les tu’ri’s d’l’Histouère, / Et les p’tiots n’entend’nt que glouère et victouère ! / I’ dit que l’travail c’est la libarté, / Que l’Peuple est souv’rain pisqu’i’ peut voter, / Qu’les loués qu’instrument’nt nous bons députés / Sont respectab’s et doiv’nt êt’ respectées ».
Ami de jeunesse de Pierre Mac Orlan, Gaston Couté évoque dans ses chansons ses terres de naissance, la ruralité, la misère des familles de paysans, l’ivrognerie (dont il fut lui-même atteint), car il y a une part d’autobiographie savamment cachée dans ses textes (lorsqu’il dépeint notamment les grandes plaines beauceronnes) qui sont aussi des attaques frontales contre les bourgeois, dans une plume acérée et vitriolée, colorée. Les curés font les frais de ses saillies (« Un bon métier »). « Môssieu imbu » est peut-être le plus représentatif des poèmes engagés de Couté, artisan plus qu’artiste, contre les conventions, hormis celle de la chandeleur.
Poèmes en chansons. Car Couté « monta » à Montmartre pour mettre en mélodie ses propres poèmes. Il est également intéressant de noter ces « au refrain » dans les textes, qui renvoient bien sûr à une structure de chanson, où il n’oublie pas ses racines, abordant des sujets brûlants comme le phylloxera ou la maltraitance animale. Par ses thèmes et ses personnages, Couté est moderne, aussi il prend sans hésiter la défense des femmes abusées ou souffrant dans les champs, il leur rend un hommage appuyé dans un monde qui chasse l’autre (« Automobilisme » en est un parfait exemple) malgré les fêtes de villages ancestrales, superbement décrites par l’auteur. Il peint avec sa gouaille si particulière des séquences de vie des paysans beaucerons.
« Le fondeur de canon » est rigoureusement antimilitariste alors que « Sur la grand’route » s’adresse aux vagabonds, sans oublier la politique avec « L’affaire Chevaux-Jacquelin » ou « La marseillaise des requins » sur l’air, le précise l’auteur, de « La marseillaise ». Et toujours cette outrance aux bonnes mœurs religieuses : « À la clarté des soirs sans voiles, / Regardons en face les Cieux ; / Cimetière fleuri d’étoiles / Où nous enterrons les dieux, (bis) / Car il faudra qu’on les enterre / Ces dieux féroces et maudits / Qui, sous espoir de Paradis / Firent de l’Enfer sur la « Terre » !... ». Les derniers textes du livre sont issus du journal « La guerre Sociale » pour lequel il écrivit un poème par semaine pendant très exactement une année, sa dernière, entre 1910 et 1911.
Il est difficile de ne pas associer la figure de Couté à trois personnages d’envergure : François Villon tout d’abord, son idole dont il a repris en partie le style, la provocation et ses portraits de miséreux. Brassens bien sûr, avec des thèmes similaires malgré le style très différent (quoique, analysez bien la structure de « Saoul, mais logique »), les mêmes combats pour un monde plus juste, ce même esprit libertaire, sans compter la moustache. Pour finir, et peut-être plus curieusement : Maupassant. Avec cet « accent » du cru que Maupassant a de son côté beaucoup utilisé pour ses descriptions de la campagne normande, du labeur de paysan, de fermier, pour ces tragédies des petites gens. Maupassant vivait encore à la naissance de Couté, autant dire qu’ils sont contemporains. De plus, Maupassant possédait cet esprit un brin libertaire qui le différenciait beaucoup des grands écrivains de son temps. Nombreuses ressemblances entre les deux bonhommes. Sans compter la moustache.
Poésie à la fois proche de ses racines et refusant tout argumentaire sur les conventions, telle est la dualité qui se fait chez Couté, l’éternel révolté. Ces quelque 100 poèmes sont une immersion dans un monde révolu en même temps qu’un discours contemporain sur ce l’on pourrait appeler les fléaux intemporels de notre société. Couté fut un très grand et ce livre lui rend un hommage saisissant. D’abord parce qu’il est tel que l’auteur le désirait dans un projet avorté de 1907, ensuite parce que tous les textes ont été rigoureusement revus et corrigés d’après des modifications de la main même de Couté en 1906. Enfin par un avant-propos, une préface et de nombreuses illustrations et facsimilés pour un résultat détonnant.
Couté est mort jeune, malade et fatigué de la vie. Un petit musée gratuit lui rend hommage dans sa ville de Meung-sur-Loire, il est à visiter, l’émotion est garantie et la boutique renferme le présent livre que tout fan de Gaston Couté se doit de posséder, il est à lui seul un voyage sublime en compagnie du poète libertaire. Superbe bouquin paru en 2023 aux éditions Wallaba d’Avignon, il vient (déjà) d’être réédité en cette année 2024. Il est un évident coup de cœur qui ne me lâchera plus.
(Warren Bismuth)
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