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dimanche 22 décembre 2024

Jean AMILA « Y’a pas de bon dieu ! »

 

En 1950, les romans de Meckert sont moins goûtés du public, le succès se tarit. Aussi il lui est proposé d’écrire à la manière de. Son atmosphère de roman noir colle parfaitement à un style alors en vogue : le roman noir étatsunien. Aussi, Gallimard propose un deal à Meckert : écrire, décrire une ambiance à l’américaine, en noir et blanc. Mais surtout ne pas garder son nom, user d’un pseudo pourrait faire rêvasser. Meckert choisit Jean Amilanar, que son éditeur va raccourcir en Amila, le côté « anar » pouvant faire fuir le lectorat. Et puis tant qu’à faire, on pourrait aussi changer ce prénom, Jean, un peu franchouillard, et le transformer en John. Ainsi naît « Y’a pas de bon dieu ! », roman de John Amila « traduit par Jean Meckert » (dans la première édition de 1950).

Nous connaissons le talent de Meckert pour les atmosphères. Sous son sobriquet il ne déroge pas à la règle. Ce roman très noir qui, d’après lui, se déroule quelque part dans le Wyoming (alors que Meckert n’a jamais fichu les pieds aux Etats-Unis) met les formes sur le phrasé toujours vert et populaire, l’épaisseur de ses personnages, en y ajoutant une petite pincée de grands espaces. D’ailleurs le roman pourrait bien se dérouler près de n’importe quelle chaîne montagneuse du globe.

Paul Wiseman est pasteur méthodiste, il a 29 ans. Et avec une organisation de citoyens, il s’oppose à l’édification d’un barrage qui devrait engloutir le village de Mowalla, 350 âmes. Wiseman est un idéaliste empreint de fortes convictions, comme beaucoup de figures issues du chapeau de Meckert. Le petit groupe d’opposants a déjà frappé : deux baraques à outillage de la compagnie de travaux, le Dam, brûlées. Wiseman est pris à partie, passé à tabac par des membres du Dam. Le climat se fait soudain délétère et les coups bas pourraient bien pleuvoir. Mais c’est un peu le combat de David contre Goliath qui se met en place, le Dam étant une entreprise puissante et influente, au pouvoir sans partage. Certains pourraient bien y laisser des plumes alors que d’âpres tractations s’amorcent.

« Y’a pas de bon dieu ! » est en quelque sorte un roman écolo avant l’heure, désenchanté mais militant : « C’est la lutte de l’escargot et du bison. Si vous ne fuyez pas, vous serez écrasé. Nous devons construire un barrage dans cette vallée, et nous le construirons ! Mowalla se rebâtira à la limite des eaux. Pour la dernière fois nous vous demandons de considérer notre affaire avec intelligence ». Meckert a souvent su se positionner en avant-gardiste, voire en visionnaire, ce roman ne fait pas exception à la règle. C’est en quelque sorte le prolétariat contre le grand patronat, mais déplacé dans les montagnes, avec en fond la destruction de la nature pour le profit et la cupidité. D’autant que ce projet de barrage pourrait masquer un projet bien plus ambitieux, celui de l’extraction d’un certain minerai…

Mais le climat demandé est aussi celui du vrai bon vieux roman noir tendance polar. Et Meckert/Amila s’applique à créer de lentes et longues séquences typiques d’un roman noir poisseux et suant, sans oublier l’incontournable histoire d’amour, qu’il ne fait d’ailleurs pas déborder sur son intrigue, la laissant volontairement sur le bas-côté, sans qu’elle ne trouble le reste, malgré son héroïne Amy, femme déterminée aux accents féministes, alors que le pasteur semble toujours dans le doute, y compris dans ses sentiments, tandis que le scénario aux allures de film noir continue à se projeter.

Meckert entame une nouvelle carrière en enfilant le pardessus de Jean Amila. S’ensuivront de nombreux titres. En totalité 21 en 35 ans, Meckert ne reprendra que ponctuellement son vrai patronyme. Ici comme souvent, ses personnages sont vrais, dignes, entiers, tandis que Meckert/Amila s’évertue à entretenir un suspense haletant, qui fonctionne par ailleurs pleinement, avec sa galerie de durs à cuire qui roulent des mécaniques devant les humbles. L’auteur ayant toujours un message à transmettre, il est ici celui du péril communiste supposé devant la bien pensante société étatsunienne.

« Y’a pas de bon dieu ! » n’avait été que deux fois publié à ce jour : en 1950 et 1972. Toujours dans la Série noire, il vient enfin d’être réédité, près de 75 ans après sa sortie, et surtout plus de 50 après sa précédente publication. L’année 2024 fut incontestablement l’année Meckert. Boudé (ou méconnu) du public français, il se voit, près de 30 ans après sa disparition, auréolé en quelques mois d’un recueil de nouvelles policières ainsi que de trois pièces de théâtre (ces quatre livres sortis aux éditions Joseph K.), les éditions Joëlle Losfeld ayant fait paraître « La lucarne » dans ce qui est la réédition de l’œuvre complète fictionnel de Meckert sous son vrai nom (l’ultime volet sera pour 2025 avec « La vierge et le taureau »), et donc la Série noire qui lui fait reprendre du service avec la présente réédition qui vient juste de paraître, mais rien n’indique si le reste de la série d’Amila suivra chez eux. En revanche, depuis le 4 décembre est d’ores et déjà disponible l’un des derniers romans de Jean Amila, « Le boucher des Hurlus » (1982) chez l’éditeur associatif Ronces. En tout pas moins de 7 livres de l’auteur sont donc paru en 2024. À noter que pour la réédition du présent roman, Série noire s’est entourée de deux spécialistes de Meckert, Stéfanie Delestré et Hervé Delouche, coupables par ailleurs des rééditions ou éditions inédites chez Joëlle Losfeld, pour rédiger ici une très éclairante préface.

 (Warren Bismuth)

2 commentaires:

  1. J'ai repéré cette réédition... maintenant que j'ai un peu lu Meckert, je vais me pencher sur cet Amila !

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    1. J'ai d'abord lu quasiment tout ce qu'il a publié sous son vrai nom avant de m'attaquer à Amila, je pense que c'est pas mal de procéder ainsi. Et me voici parti avec l'envie de lire l'intégrale de Amila !

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