Un pavé conséquent pour revivre le maquis, la résistance et l’action de l’Armée Secrète sur tout le territoire de Haute-Corrèze, 500 pages truffées d’informations, de détails méticuleusement mis en place sur le quotidien de ceux qui ont dit non à l’occupant durant la seconde guerre mondiale, entre 1940 et 1944 (le titre est trompeur) dans une petite région vallonnée et rurale.
La Haute-Corrèze est la région géographique où aurait été créé le premier maquis de France, en 1940. Il faut dire que la topographie s’y prête : collines et vallées boisées se succèdent sans cesse et sont les meilleures alliées pour se planquer de l’ennemi afin de mieux l’affronter. La résistance y fut très tôt présente, dès 1940 donc. Les deux auteurs, qui ont eux-mêmes participé à la lutte contre l’occupation nazie, tiennent ici ce que l’on pourrait presque appeler un journal de bord, tant les événements sont consignés quasiment au quotidien.
Au sein de ces combats, plusieurs organisations, dont la M.O.I. : « Les autres travailleurs étrangers sont, pour la plupart, groupés en une organisation, la « M.O.I. », sigle mystérieux que tout le monde traduit par « Mouvement ouvrier international ». C’est en fait l’organisation de la Main-d’œuvre immigrée mise sur pied par le parti communiste entre les deux guerres. Il s’agit de rassembler ces travailleurs, de les défendre, et aussi d’empêcher le patronat de les opposer au prolétariat français ». Car nombre de résistants sont étrangers, ce qui donne un aspect antifasciste à certains groupes. Mais il est peu question de politique dans ce documentaire, les auteurs se focalisant sur l’ennemi commun et la lutte presque au corps à corps de l’Armée Secrète durant trois années (cinq en fait) dans ces paysages pour le moins cabossés.
Tout nous est révélé : les planques de munitions, les actes de sabotage, l’aide aux réfractaires au S.T.O., la milice collaborationniste active (de Bort-les-Orgues notamment), les premières attaques de Vichy contre des francs tireurs, les embuscades. C’est toute l’organisation, mais aussi toutes les actions de l’Armée Secrète de Haute-Corrèze qui sont percées ici au grand jour. Dans une moindre mesure, celles de l’armée allemande ou collaborationniste, le tout dans un langage militaire pouvant s’avérer technique, mais toujours au plus près du terrain.
L’organisation est de plus en plus poussée, le rôle des sédentaires – indispensable – est dévoilé, expliqué. Il en est de même pour les points stratégiques de repli, de caches d’armes, de réunions clandestines, je pense à ce petit garage automobile à Neuvic, sorte de plaque tournante et de QG de l’Armée Secrète. Des bâtiments qui ne paient pas de mine, qui n’attirent pas l’attention, qui sont de ce fait des lieux clés. C’est d’ailleurs toute une toile d’araignée qui se déploie contre l’occupant. Il est intéressant de noter que, outre les soutiens à titres personnels, les sympathisants, sont présentes nombre d’organisations : les M.O.I., les F.T.P., l’A.S. (Armée Secrète), des groupes de résistants, de maquisards, etc. La variété des portraits est totale. C’est ainsi qu’il n’est pas fait état des convictions politiques, des partis et des mouvances, mais le doigt est uniquement pointé sur l’union contre les nazis et les collaborationnistes.
Un fait frappant : le nombre important de petits groupes d’une poignée d’hommes, disséminés sur ce terrain rural propice à l’anonymat, à l’abri sécurisé. Très rapidement, tous les responsables de l’A.S. vivent dans la clandestinité. Dans ce récit rigoureux – quoique forcément partisan car retraçant une épopée collective vécue par les auteurs – c’est tout un organigramme de la résistance globale de Haute-Corrèze qui se dresse. Beaucoup de ses acteurs paieront de leur vie.
Il serait évidemment vain d’entrer dans les détails sur cette guerre dans la guerre tant ils sont nombreux, consignés sur chaque page avec minutie, forts de témoignages directs d’acteurs de la résistance, témoignages essentiels qui évoquent l’état d’esprit général. Il est fait état de collaborationnistes et/ou miliciens qui changent de camp, qui entrent dans l’A.S. afin de combattre leurs anciens alliés, d’autant que sur le terrain les combattants au nazisme sont désormais organisés, de plus en plus proches de la résistance à Londres et en pourparlers avec elle. Si le récit peut paraître technique par l’accumulation des préparations militaires, des moyens à disposition, des armes en jeu, etc., il est pourtant bien cette survivance du passé, document unique par sa richesse, son ampleur pour un cadre géographique aussi limité. Car il se cantonne quasi exclusivement à la Haute-Corrèze, ne débordant que brièvement sur les départements limitrophes et même sur la Basse-Corrèze. Il peut sembler peindre une évolution, un combat en vase clos, et pourtant ces actions se déroulent dans un cadre international voire internationaliste.
Et puis les combats pour la Libération, peut-être les pages les plus passionnantes, avec notamment cette embuscade d’envergure au Chavanon début juillet 1944 (quand on connaît les lieux elle prend tout de suite une dimension dantesque par son emplacement stratégique entre Puy-de-Dôme et Corrèze !). 22 morts côté allemand, aucun côté français. C’est alors que ces embuscades se succèdent, sans oublier l’Histoire dans l’Histoire, notamment la singulière présence de ce groupe de Tatars au milieu de (presque) nulle part, ou encore ce « Plan national établi par les allemands pour l’extermination du maquis ».
17 août 1944 les troupes allemandes entrent dans une ville d’Ussel désertée alors que les combats font rage à quelques encablures, du côté d’Egletons. Le 22 août 1944 les nazis quittent définitivement la Haute-Corrèze, la région est libérée. Toute cette épopée guerrière, de résistance, d’organisation, de foi et de lutte est ici racontée. En tout cas celle de l’Armée Secrète, sujet principal du livre. En effet, si le reste des combats est (parfois) évoqué, ce n’est que très partiellement. Un exemple : il n’est consacré que quelques lignes au « Pendus de Tulle » de juin 1944, il n’est même pas fait état du nombre pourtant conséquent de morts (99). La « caméra » est braquée sur l’Armée Secrète de Haute-Corrèze, sur ses faits d’armes, sur ses exploits, ses doutes, ses succès, ses échecs aussi, mais particulièrement sur sa solidarité sans faille.
Ce qui est peut-être à retenir au-delà des combats, c’est l’organisation d’anonymes, de gens comme vous et moi, des poignées de citoyens qui n’ont à gagner que leur liberté, ces quidams qui s’impliquent tout en continuant leurs activités personnelles, qui donnent des coups de main ponctuels, qui s’engagent à leur niveau, et qui font partie de ce grand tout. Ils sont pourtant des éléments majeurs de lutte conte le nazisme, même s’ils peuvent paraître invisibles. Le combat est rude, d’autant que les mouchards et traîtres sont nombreux.
« L’Armée Secrète en Haute Corrèze » est un livre nécessaire qui témoigne d’une courte période dans un lieu géographique lui aussi restreint, avec ses particularités. Et lorsque l’on connaît la topologie évoquée, on se surprend à balader notre imaginaire sur les lieux, c’est un voyage dans le temps comme dans l’espace. Ce bouquin un rien confidentiel a pourtant été édité trois fois entre 1977 et 1993, par l’Association Amicale des Maquis A.S. de Haute-Corrèze », autant dire auto-édité. Il est épuisé mais peut-être le trouverez-vous, chanceux que vous êtes, sur une quelconque plate-forme ou lors d’un vide grenier, c’est tout le mal que je vous souhaite.
(Warren
Bismuth)
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